Restitution d’un bien du domaine public : précisions sur l'indemnisation du détenteur de bonne foi

Public - Droit public général
01/08/2022
Dans un arrêt rendu le 22 juillet publié au recueil Lebon, le Conseil d’État est venu préciser le régime de la réparation du préjudice du détenteur de bonne foi d’un bien du domaine public, tenu à une obligation de restitution. En dehors de toute faute, doivent être indemnisés le préjudice lié à la perte d’un intérêt patrimonial lorsque le détenteur supporte une charge spéciale et exorbitante, ainsi que les dépenses liées à la conservation du bien. Le détenteur n’étant pas propriétaire, la réparation est nécessairement inférieure à la valeur vénale du bien.
En l’espèce, une personne détenait un manuscrit de la fin du XVe siècle comportant le texte « Commentaria in Evangelium sancti Lucae » attribué à Saint Thomas d’Aquin. Le bien avait été acquis par la famille lors d’une vente aux enchères en 1901, et avait été mis en dépôt aux archives départementales en 1991 puis restitué au détenteur en 2016 en vue de sa vente. C’est lorsque ce détenteur a demandé le certificat requis pour l’exportation de biens culturels que le ministre de la culture a lui a réclamé le bien comme appartenant au domaine public.
 
Le détenteur demande la réparation du préjudice moral et financier qu’il estime avoir subi du fait de la perte du manuscrit, qu’il évalue à 300 000 euros. Après un rejet par le tribunal administratif, la cour administrative d’appel a condamné l’État à une réparation à hauteur de 25 000 euros pour la perte de l’intérêt patrimonial à jouir du manuscrit.
 
Perte de l’intérêt patrimonial à jouir du bien
 
Le Conseil d’État déclare dans sa décision publiée au recueil Lebon (CE, 22 juill. 2022, n° 458590) qu’il découle de l’article 1er du protocole additionnel à la CEDH, selon lequel toute personne a droit au respect de ses biens, que si en vertu de l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, « les biens qui relèvent du domaine public des personnes publiques sont inaliénables et imprescriptibles, le détenteur de bonne foi d'un bien appartenant au domaine public dont la restitution est ordonnée peut prétendre à la réparation du préjudice lié à la perte d'un intérêt patrimonial à jouir de ce bien ».
 
Il s’agit d’abord d’une responsabilité sans faute, mais le Conseil rappelle que le préjudice qui serait lié à une faute de l’administration doit également être indemnisé. Ainsi il doit y avoir indemnisation :
  • soit, « lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances dans lesquelles cette restitution a été ordonnée que cette personne supporterait, de ce fait, une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi » ;
  • soit « alors même que le détenteur de bonne foi tenu à l'obligation de restitution ne justifierait pas d'une telle charge spéciale et exorbitante » : dans ce cas, il peut prétendre « à l'indemnisation des dépenses nécessaires à la conservation du bien qu'il a pu être conduit à exposer ainsi que, en cas de faute de l'administration, à l'indemnisation de tout préjudice directement causé par cette faute ».
 
Le Conseil considère que les juges d’appel n’ont pas commis d’erreur de droit en reconnaissant que le détenteur disposait d’un intérêt patrimonial à jouir du bien, notamment du fait de la durée de la détention par sa famille. De plus, l’intérêt public s’attachant à la restitution du bien n’exclut pas par principe le versement d’une indemnité pour réparer la perte de jouissance.
 
Réparation nécessairement inférieure à la valeur vénale du bien
 
La cour n’a pas non plus commis d’erreur de qualification juridique en considérant que la privation du bien constituait une « charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi ». En effet, cette qualification résulte notamment de la durée de la détention et de de l’absence de revendication de propriété par l’État, alors qu’il en avait eu la possibilité au moins depuis le dépôt aux archives en 1991. Enfin, le Conseil considère que le requérant subit un préjudice moral, qui doit être indemnisé.
 
Sur le montant de la réparation, le détenteur du bien demandait une réparation à hauteur de la valeur vénale du bien, en plus de la réparation du préjudice moral.
 
La Haute cour rappelle que le préjudice n’est pas lié à une privation de propriété mais à la privation de jouissance d’un bien appartenant au domaine public, le détenteur n’étant pas propriétaire et donc pas exproprié. Ainsi, la réparation ne peut être à hauteur de la valeur vénale du bien, mais doit nécessairement être inférieure à ce montant. Le Conseil valide l’évaluation de l’indemnisation à hauteur de 25 000 euros par les juges d’appel.
Source : Actualités du droit