Retour aux articles

Dénonciation de faits de harcèlement moral : l’employeur peut-il sanctionner l’agent victime ?

Public - Droit public général
19/01/2022
Dans un arrêt rendu le 29 décembre 2021, le Conseil d’État s’est prononcé sur la conciliation entre le devoir de réserve de l’agent public et son droit de dénoncer des faits de harcèlement moral. Une cour administrative d’appel confirmant la sanction de l’agent ayant dénoncé les faits par courriel sans tenir compte des faits de harcèlement subis commet une erreur de droit.
Une adjointe administrative territoriale avait été placée en congé de maladie et avait ensuite adressé un courriel à plusieurs élus pour se plaindre d’une situation de harcèlement moral dont elle était victime. Elle avait ensuite reçu un blâme pour manquement au devoir de réserve. L’agente avait ensuite saisi le tribunal administratif d’une demande d’annulation de la sanction.
 
L’agente avait obtenu gain de cause, mais la cour administrative d’appel de Lyon avait ensuite annulé le jugement sur deux points : l’annulation de la sanction disciplinaire ainsi que l’avancement à l’ancienneté maximale. L’agente se pourvoit donc en cassation.
 
Le Conseil d’État dans un arrêt rendu le 29 décembre 2021 (CE, 29 déc. 2021, n° 433838) rappelle qu’en application de l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 « Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : […] 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés ».
 
Il rappelle ainsi que les fonctionnaires ne peuvent être sanctionnés pour avoir dénoncé les faits de harcèlement moral dont ils sont victimes. Le droit de dénoncer ces faits n’est toutefois pas sans limite, puisqu’il doit être « concilié avec le respect de leurs obligations déontologiques », et notamment l’obligation de réserve. La Haute cour donne un mode d’emploi au juge, qui doit « prendre en compte les agissements de l'administration dont le fonctionnaire s'estime victime ainsi que les conditions dans lesquelles ce dernier a dénoncé les faits » Le juge doit pour cela s’appuyer sur :
  • la teneur des propos tenus,
  • les destinataires des propos,
  • les démarches accomplies par le fonctionnaire pour alerter sur sa situation. 
 
En l’espèce, la cour administrative d’appel avait jugé que la fonctionnaire avait manqué à son devoir de réserve en dénonçant le harcèlement moral dont elle était victime dans un courriel « adressé à un large cercle d’élus ». Pour la Haute cour, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des agissements que subissait l’agente.
 
Dans une précédente affaire, le Conseil d’État avait indiqué que les employeurs publics pouvaient prendre des mesures relatives à l’affectation, à la mutation ou au détachement d’un fonctionnaire victime de harcèlement moral dans certaines conditions : « si la circonstance qu’un agent a subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement moral ne saurait légalement justifier que lui soit imposée une mesure relative à son affectation, à sa mutation ou à son détachement, elles ne font pas obstacle à ce que l’administration prenne, à l’égard de cet agent, dans son intérêt ou dans l’intérêt du service, une telle mesure si aucune autre mesure relevant de sa compétence, prise notamment à l’égard des auteurs des agissements en cause, n’est de nature à atteindre le même but » (CE, 19 déc. 2019, n° 419062, Lebon, t., voir Harcèlement moral : réaffectation possible dans l’intérêt du service ou de l’agent).
Source : Actualités du droit