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Responsabilité sans faute : précisions sur la notion d’anormalité du dommage

Public - Droit public général
09/10/2019
Dans une affaire qui concernait un blocage du port de Marseille, la Haute cour a fait application de sa jurisprudence Couitéas sur la responsabilité sans faute de l’État pour rupture d'égalité devant les charges publiques, et est venue préciser au-delà de quelle durée le dommage pouvait être qualifié de charge anormale.
Une compagnie de navigation avait vu l’un de ses navires bloqué au port, et deux autres navires déroutés vers un autre port du fait d’un mouvement de grève. Elle avait d’abord saisi le tribunal de commerce de Marseille, qui avait « ordonné l’expulsion immédiate de toute personne, tout engin ou tout matériel empêchant l’accès » au navire. La compagnie avait également demandé par voie d’huissier le concours de la force publique. Face à l’inaction des autorités et au refus de réparer les préjudices subis, la société a demandé au tribunal administratif de Marseille la condamnation de l’État à réparer les dommages résultant de son inaction à faire évacuer les marins qui bloquaient le port pour les pertes subies au-delà des 24 premières heures.
 
Responsabilité pour inaction
 
Les autorités administratives ont l’obligation de protéger le domaine public. En l’espèce, le tribunal de commerce avait, par ordonnance, demandé l’expulsion des marins bloquant le port, impliquant le recours à la force publique. Or, les autorités publiques n’avaient pas agi en vue de débloquer la situation, contribuant ainsi au dommage subi par la compagnie maritime.
 
Dans son arrêt, le Conseil annonce : « le dommage résultant de l’abstention des autorités administratives de recourir à la force publique pour permettre l’utilisation normale du domaine public portuaire ne saurait être regardé, s’il excède une certaine durée, comme une charge incombant normalement aux usagers du port », reprenant ainsi le considérant de son arrêt Couitéas (CE, 30 nov. 1923, n° 38284, 48688), dans lequel il avait déclaré que la responsabilité de l’État pouvait être engagée pour réparer le dommage résultant d’une décision régulière de l’administration : « le justiciable nanti d'une sentence judiciaire dûment revêtue de la formule exécutoire est en droit de compter sur l'appui de la force publique pour assurer l'exécution du titre qui lui a été ainsi délivré ; que si (…) le gouvernement a le devoir d'apprécier les conditions de cette exécution et le droit de refuser le concours de la force armée, tant qu'il estime qu'il y a danger pour l'ordre et la sécurité, le préjudice qui peut résulter de ce refus ne saurait, s'il excède une certaine durée, être regardé comme une charge incombant normalement à l'intéressé ».
 
Ainsi, les autorités publiques étaient en droit de ne pas recourir à la force publique pour permettre l’utilisation normale du domaine publique.
 
Toutefois, lorsque cette abstention a des conséquences préjudiciables, l’État peut voir sa responsabilité engagée, sous certaines conditions.
 
Dommage anormal au-delà de 24 heures
 
Le Conseil vient rappeler les conditions dans lesquelles la responsabilité de l’État peut être engagée : les usagers du port « sont fondés à demander réparation à l’État d’un tel préjudice, s’il présente un caractère grave et spécial, alors même que l’abstention des autorités administratives ne présenterait pas de caractère fautif ».
 
Le tribunal administratif avait jugé « eu égard aux caractères spécifiques du transport maritime de passagers et de véhicules entre la Corse et le continent, particulièrement pendant la période estivale, la compagnie (…) avait subi, du fait du blocage (…) un préjudice grave et spécial, excédant les charges que les usagers doivent normalement supporter ».

Mais surtout, c’est la durée pendant laquelle le dommage a été subi qui permet aux juges de qualifier le dommage d’anormal. En l’espèce, le tribunal administratif avait jugé que la responsabilité de l’État pouvait être engagée « pour la part du dommage correspondant aux pertes subies au-delà des vingt-quatre premières heures », ce que valide la Haute cour.
Source : Actualités du droit